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  • : SI ÇA VOUS CHANTE (le blog de Fred Hidalgo)
  • : Parce que c’est un art populaire entre tous, qui touche à la vie de chacun et appartient à la mémoire collective, la chanson constitue le meilleur reflet de l’air du temps : via son histoire (qui « est la même que la nôtre », chantait Charles Trenet) et son actualité, ce blog destiné surtout à illustrer et promouvoir la chanson de l’espace francophone ne se fixera donc aucune limite…
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  • Fred Hidalgo
  • Journaliste depuis 1971, créateur de plusieurs journaux dont le mensuel « Paroles et Musique » (1980-1990) et la revue « Chorus » (1992-2009). Editeur depuis 1984 et créateur en 2003 du « Département chanson » chez Fayard.
  • Journaliste depuis 1971, créateur de plusieurs journaux dont le mensuel « Paroles et Musique » (1980-1990) et la revue « Chorus » (1992-2009). Editeur depuis 1984 et créateur en 2003 du « Département chanson » chez Fayard.

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27 avril 2021 2 27 /04 /avril /2021 12:55

« Le plus féal de mes féaux »...

C’est l’histoire d’un livre (un beau roman, une belle histoire…) qui devait sortir début juin et se retrouve brusquement orphelin d’éditeur, pour cause de forfait de dernière heure. San-Antonio poussa la porte et Frédéric Dard entra, fruit d’une gestation de vingt ans et d’un accouchement long de deux ans, cherche parents adoptifs pour le mettre physiquement au monde…

Moi, vous me connaissez… Depuis le temps qu’on se fréquente et qu’on partage nos passions, des bouquins, j’en écris très peu : seulement, vous le savez, quand il y a « urgence » – pour combler un manque ou se donner de la joie, comme disait le Fou Chantant, le bonheur étant la seule chose qui se double quand on le partage. Ce livre, que j’étais le seul à pouvoir écrire (n’y voyez pas la moindre vanité : lisez plutôt plus bas), je me le suis arraché du cœur et des tripes pour l’offrir aux aficionados de San-Antonio, bien sûr, mais aussi et surtout pour exposer en place publique, par l’exemple vécu, à quel point Frédéric Dard, au-delà de son génie d’écrivain, était « quelqu’un de bien ».

Le renoncement de l’éditeur ?

Je plaide coupable, mais avec circonstances atténuantes ! Il attendait quatre à cinq cents pages, j’en ai « pondu » le double. La faute de l’auteur, forcément… mais aussi, indirectement, de l’éditeur et du confinement. Je m’explique : au printemps 2020, alors que j’étais tout prêt d’en finir, en restant dans les clous, on m’annonce que tout est chamboulé… et que mon livre est reporté d’un an ! J’ai cru que c’était un blanc-seing m’autorisant à compléter mon travail (tant de matière inédite et savoureuse en réserve…) ; si bien que, chemin faisant, mon récit s’est doublé d’une sorte de San-Antonio, mode d’emploi, voire d’un San-Antonio, la totale*…

Le seul à pouvoir écrire ce livre ? Jugez-en :

• 1964, j’ai quinze ans : l’âge de San-Antonio, que je prends de plein fouet, estomaqué par son univers et son style ébouriffant. Le choc ! Le second de ma jeune vie après Brel, à huit ans, avec Quand on n’a que l’amour… Commotion inévitable et virus incurable : quatre livres dévorés fiévreusement en trois ou quatre jours (et nuits) à léviter dans mon lit d’ado, confiné dans ma chambre pour cause de maladie contagieuse… Urgence de confier à la page blanche mon ressenti à l’accostage de cet insoupçonné et irrésistible continent littéraire. Glissée sous pli posté à « Monsieur San-Antonio », aux bons soins de son éditeur. Qui donc savait à l’époque que Frédéric Dard (dont je n’avais jamais entendu parler) se cachait derrière San-Antonio ? Quasiment personne.
Que croyez-vous qu’il arrivât ?
Contre toute attente, une lettre dans les semaines suivantes signée San-Antonio, qui se disait « touché » par mes propos ! Incroyable. Une correspondance s’ensuivit. Signée bientôt Frédéric Dard, avec son adresse personnelle…

• Juin 1965 : Frédéric Dard débarque un dimanche à la maison, chez mes parents, pour me rencontrer ! Ahurissement de ceux-ci – qui ne croyaient d’ailleurs pas à la venue annoncée de « San-Antonio » –, en l’entendant me dire (avant de leur demander la permission de m’embrasser) que personne d’autre avant moi ne lui avait écrit de tels propos… « à part Jean Cocteau » !

• Mai 1967 : je sors une nouvelle fois de chez lui le cœur en fête. Ce jour-là, pour me remercier d’avoir bien voulu attendre, à mon arrivée, qu’il termine son travail en cours (tu parles, Charles ! je m’étais régalé comme jamais à le voir écrire en rigolant !), il m’a offert la seule photo qu’il avait de lui, dans un cadre posé sur son bureau, après y avoir tracé ces mots aussi bleus que son regard: Pour Fred, le plus sympa de tous les san-antonistes...

Je vous passe les détails des trente piges suivantes et des poussières, parsemées d’entretiens exclusifs, de confidences inédites, d’anecdotes et de parties de rigolade : tout est dans le livre… et j’en arrive directement à la coda.

• Avril 1999 : j’ai 50 ans… et San-Antonio aussi ! Pour célébrer l’anniversaire de son héros (né à peu près en même temps que moi, à environ soixante km de distance de ma ville natale), il publie un « super San-Antonio » – judicieusement nommé Ceci est bien une pipe – où je découvre ces lignes :

Je connaissais la chanson, paroles et musique, comme dirait mon cher Fred Hidalgo, le plus féal de mes féaux. Je le proclame ici Grand Connétable de la San-Antoniaiserie, titre dont il pourra se parer sa vie durant et orner ses pièces d’identité.

Grand Connétable du Grand Maître de l’ordre de la San-Antoniaiserie, déjà !
Mais surtout le plus féal de ses féaux…
C’était dans l’antépénultième San-Antonio de la saga. Un an plus tard, il nous laissait en plan ! Plantés, esseulés. En plein désarroi.

Voilà quelques bribes d’embryon de l’histoire – de notre histoire. Celle d’un auteur adoubant un lecteur parmi des centaines de milliers d’autres (à l’apogée de son œuvre, chaque San-Antonio tirait à six cent mille exemplaires…), et d’un lecteur encore incrédule d’avoir été pareillement emmitouflé de tendresse « sa vie durant » par l’auteur qui a porté la langue française à incandescence comme nul autre depuis Rabelais (entre dix et quinze mille néologismes recensés). Voilà pourquoi seul ce lecteur-là pouvait l’écrire, fort des conséquences heureuses que cette relation exceptionnelle (longue de trente-six ans…) allait entraîner : des journaux et des livres…

Aujourd’hui où « les cons » gagnent chaque jour du terrain sur l’intelligence et la tolérance (« À propos, disait-il, comment font les cons pour vivre en bonne intelligence » ?!), comment aurait-il fait pour écrire encore en toute liberté, confronté à des réquisitoires incessants et multiples parfois dignes de l’Inquisition, aux armes d’Anastasie ? Il n’aurait pas reculé devant eux, j’en suis convaincu. Au contraire, cela aurait attisé son génie. Mais il n’est plus là et il faut faire avec, c’est-à-dire sans lui.

Pas simple, en cette triste époque bien peu épique, où l’on s’effraie devant un gros livre à son sujet, lui qui en écoula pourtant, de son vivant, plus de 200 millions d’exemplaires… Existe-t-il encore un éditeur assez intéressé par Frédéric Dard dit San-Antonio pour épingler l’ouvrage (en un volume... ou en deux tomes) du Grand Connétable de la San-Antoniaiserie à son palmarès ? Un seul éditeur capable de « prendre des risques » avec ce gai luron dont un psychiatre célèbre déclara jadis qu’il était « la santé de la France » ?

Auteur cherche éditeur !

Qu’on se le dise, SVP… sans hésiter à faire circuler le communiqué de presse ci-dessus que mon futur-ex-éditeur avait commencé de concocter, avant de savoir qu’il aurait droit à double dose de vaccin anti-connerie… pour le même prix !

À vous de jouer… si ça vous chante (contact). Merci.

*Dont San-Antonio et la chanson : Piaf, Trenet, Brel, Brassens, Boby Lapointe, Bourvil, Ferré, Tachan, Renaud, Goldman, Nilda Fernandez… Car Frédéric Dard adorait la chanson ! Il permit même la création d’un chef-d’œuvre immortel de Charles Aznavour en ajoutant une scène spécifique à son opérette Monsieur Carnaval (dont il ne reste hélas que des images de médiocre qualité tirées d’un petit reportage télé), offrant à Georges Guétary la primeur de La Bohème… À lui et au public privilégié, dont j’étais, invité par l’auteur. À vrai dire, du jour où, à quinze ans, San-Antonio poussa la porte de mes petites cellules grises et que Frédéric Dard entra dans mon cœur, plus rien de ce qui le concernerait ne me serait étranger.

Pour rappel, San-Antonio sur ce blog :

– À l’occasion des 70 ans de San-Antonio :
San-Antonio sans alter ego
.

– À l’occasion des 20 ans de la disparition de Frédéric Dard :
San-Antonio enfin timbré !

Voir aussi (avec documents d’archives) le résumé de cette longue complicité affective avec Frédéric Dard dans le site de référence Tout Dard (ou « De Dard et D’autres ») :
Fred Hidalgo, « Grand Connétable de la San-Antoniaiserie ».

 

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29 juin 2020 1 29 /06 /juin /2020 08:21

« En résumé, en conclusion »… et la suite


Qu’importe le temps qui reste : « Même si on n’a pas assez d’essence / Pour faire la route dans l’autre sens », on avance, on avance ! De Souchon, chantre de l’ultra moderne solitude contemporaine des foules sentimentales, toujours sur le pont (et l'âme à l'âme qui colle) depuis son embarquement à bord du « vaisseau amiral de la chanson vivante », à nos griots du temps présent disparus récemment (Christophe, Renée Claude, Manu Dibango, Idir, Mory Kanté, Joan Pau Verdier et autres Guy Bedos, Jean-Loup Dabadie ou Luis Eduardo Aute), quarante ans nous séparent. Les plus fidèles (et moins jeunes !) d’entre vous s’en souviennent sans doute : le 15 juin 1980 naissait Paroles et Musique

L’occasion d’un beau voyage en chansons à travers le temps et l’espace… De Djibouti, où en 1979 fut conçu le futur « mensuel de la chanson vivante », à son futur siège social de Brézolles… que Radio-Canada, nous recevant en 2009 au titre des « Cahiers de la chanson », qualifia dans sa matinale d’« adresse mythique de la chanson francophone ». De la mer Rouge aux confins de la Beauce, de l’Île-de-France et de la Normandie, des maquettes de Paroles et Musique à l’automne 1979 jusqu’au numéro d’automne 2009 de Chorus (brutalement empêché de paraître), trois décennies de presse musicale indépendante… Trente ans de chansons qui nous ressemblent et nous rassemblent, quel plus beau voyage ?!

Quarante ans désormais, avec la suite, certes plus virtuelle et sans doute moins chargée d’illusions pour cause de vaches maigres et de ballade des cimetières, mais non moins passionnelle, à travers ce blog et ses dérivés « sociaux », ponctués d’ouvrages comme autant de notes blanches semées sur un chemin de paroles, pour prolonger une seule et même histoire faite de cent paysages. Oh oui, quel beau voyage et qu’elle est belle – quoi qu’elle en ait coûté –, la Liberté, ma Liberté...

Tout avait donc débuté en 1979. À Djibouti, un inconnu nommé Henri Dès ouvrait le bal, seul à la guitare, dans les cours d'école en terre battue (j'ai les photos !), pour le plus grand bonheur des enfants qui découvraient la chanson vivante, grâce à ses bijoux de tendresse, de fraternité et d'intelligence. Cette même année, Bernard Lavilliers stigmatisait tous les Pouvoirs, incitant chacun d’entre nous à ne jamais se résigner : Bats-toi ! Inquiet pour la planète de l’insouciance de l’être humain, Graeme Allwright s’interrogeait sur notre avenir : Condamnés ? Mais Anne Sylvestre se montrait optimiste : J’ai de bonnes nouvelles, assurait-elle. Et Ferrat, silencieux depuis 1976, nous invitait sans façon à la visite d’une compil de réenregistrements, Mon palais, belle manière de nous faire patienter jusqu’à un Bilan qui ferait couler beaucoup d’encre. Jean Vasca, lui, nous offrait l’une de ses pièces maîtresses, De doute et d’envol, saturée de poésie incandescente, rayonnante de mélodies et de sons électriques nous laissant volontiers croire que La lumière chante en nous. Au basculement des générations, un petit jeune encore anonyme mais qui jouait déjà de la gratte comme Personne (prénom Paul) faisait ses premières gammes discographiques (en anglais dans le texte), avec son groupe Basckstage, tandis qu’un Papy rock nommé Jean-Roger Caussimon levait l’ancre de son ultime voyage en studio avec un bel hommage, Le Voilier de Jacques

À l’automne, une goélette blanche, baptisée Om (qui s’était retrouvée bord à bord, cinq ans plus tôt, avec l’Askoy de Brel), accostait l’ancien Territoire des Afars et des Issas (ex-Côte française des Somalis), devenu indépendant depuis peu. À la barre, le globe-navigateur-chanteur Antoine qui avait choisi cette escale à Djibouti pour écrire les chansons de son prochain album, Quel beau voyage ! Une rencontre immanquable pour nous qui entamions sur place, neuf mois avant que ce mensuel ne voie le jour, la gestation (contenu, maquettes, premiers contacts épistolaires avec le monde de la chanson…) de Paroles et Musique.

À l’issue d’une première soirée, où il se plongea avec curiosité dans notre magnétothèque (des dizaines de disques sur bandes !), nous lui fîmes découvrir le premier album d’un jeune chanteur français qui le citait dans un titre : « Y a eu Antoine avant moi, y a eu Dylan avant lui […] / Après moi qui viendra / Après moi c’est pas fini / On les a récupérés / Oui mais moi on m’aura pas ! » Antoine, qui n’avait jamais entendu Renaud, prit le parti d’en rire, le meilleur qui soit, lui qui venait justement de faire ses adieux à la société du spectacle pour aller au bout de ses rêves en voguant en solitaire. Et l’on se donna un rendez-vous de principe avec Renaud, à notre retour dans l’Hexagone, pour s’amuser à vérifier la portée de ces élucubrations certes amusantes, mais un rien présomptueuses du futur « chanteur énervant »

Neuf mois plus tard, expérience professionnelle aidant (un hebdo local, Forum, et un quotidien national, L’Union, déjà semés sur notre sentier, emprunté un temps par un président amateur d’éléphants, de préférence sous forme de trophées…), notre passion accouchait du magazine de la chanson vivante que nous avions recherché en vain dans le paysage de la presse musicale francophone. On n’est jamais si bien servi que par soi-même !

Dans les présentoirs jusque-là, des titres essentiellement voués aux musiques anglo-saxonnes ou affichant à la une d’éphémères vedettes aux chansonnettes tièdes et pas toujours honnêtes, pareilles à ces « savons, savonnettes » dont parlait Gilbert Laffaille, qui laissent « la peau douce et lisse » et « qui dérangent pas la police »… 

Bref. Toute une époque aujourd’hui révolue, où la chanson vivante n’avait guère droit de cité dans l’audiovisuel, le plus souvent confinée dans des tiroirs qu’on n’ouvrait qu’avec parcimonie. Forcément, le premier édito du « mensuel de la chanson vivante » ne mâchait pas ses mots, qui, sous le titre « Un cri dans le silence », en appelait dès l’exergue aux « porteurs de parole, avec des chenilles d’acier dans la tête » : « La vérité, la vérité comme si la vie en dépendait ! Que se lèvent ici ceux qui ont de l’esprit pionnier dans la tête. Il va falloir dès ce soir tout recommencer. »

Arrêt sur image : ces vers étaient tirés d’une chanson grandiose de Jacques Bertin, Menace, dont on n’imaginait pas alors l’incroyable portée prémonitoire, quarante ans avant le confinement de ce printemps 2020 :

Il y a un virus qui se répand…
Les bateaux qui n’arrivent plus…
Regardez s'envoler votre dernier bel avion magnifique
Il s’en va errer dans la banlieue des pourquoi, comment…
Maintenant que le livre se ferme, sentez ce vide capital
Le ciel est désert, la terre bruit de cris désaccordés…

C’était à la mi-juin 1980. Il s’en fallait de dix ans pour que le camarade Renaud se retrouve (pour la quatrième fois !) en couverture de notre journal. Mais pas n’importe laquelle : celle du n° 100… et dernier. Et pas à des fins de promotion, en tenue de Gavroche, vendeur à la criée de Paroles et Musique : sa façon à lui de saluer le parcours accompli. Et de montrer sa fierté d’être à la une d’un numéro collector qui accueillait la crème de la chanson francophone : Bashung, Cabrel, Clerc, Diane Dufresne, Gainsbourg, France Gall, Goldman, Guidoni, Catherine Lara, Le Forestier, Manset, Renaud, Sardou, Simon, Thiéfaine, « etc. » C’est-à-dire, entre autres et pour mémoire : Graeme Allwright, Louis Arti, Jean-Louis Aubert, Guy Béart, Julos Beaucarne, Francis Bebey, Marie-Paule Belle, François Béranger, Michèle Bernard, Richard Bohringer, Louis Chedid, Claire, CharlÉlie Couture, Gérard Delahaye, Romain Didier, Yves Duteil, Leny Escudero, Jean Ferrat, Brigitte Fontaine, Henri Gougaud, Johnny Hallyday, Jacques Higelin, Michel Jonasz, Gilbert Laffaille, Daniel Lavoie, Plume Latraverse, Bernard Lavilliers, Francis Lemarque, Philippe Léotard, Mannick, David McNeil, Eddy Mitchell, Claude Nougaro, Pierre Perret, Paul Personne, Gérard Pierron, Michel Polnareff, Catherine Ribeiro, Henri Salvador, Véronique Sanson, Sapho, Mort Shuman, Alain Souchon, Anne Sylvestre, Henri Tachan, Jean-Claude Vannier, Jean Vasca, Gilles Vigneault… ou Pierre Desproges, Étienne Roda-Gil… D’autres encore, excusez du peu !

Pardon aussi pour cette autocitation, en résumé et en conclusion du centième éditorial de Paroles et Musique (dédié « à mon père »), qui annonçait bien les dix ans, vingt ans, trente ans à suivre ; avec Chorus d’abord pendant deux décennies… jusqu’à ces lignes d’aujourd’hui, composant (une partie seulement de) Mon bistrot préféré. Car l’histoire continue, le beau voyage se poursuit :

« …Quant à nous, qui partageons le même amour pour le plus merveilleux des arts (mais oui, Gainsbarre !), les occasions de retrouvailles ne manqueront pas, au hasard de ces sentes buissonnières, de ces routes enchantées où la chanson vivante, celle qui ne sacrifie ni aux modes ni aux compromissions de l’argent, continuera à faire notre bonheur. Et puis, ainsi que le pays qu’à Gilles Vigneault il reste à dire, il me reste à écrire un gros livre sur la chanson et l’histoire vraiment peu commune de Paroles et Musique. En attendant ces probables rendez-vous, amis lecteurs, merci encore de votre fidélité pendant ces dix ans et à bientôt, donc… on the road again. »

Le livre pressenti parut un an plus tard : Putain de chanson !

Un titre en forme de clin d’œil au Putain de camion de Renaud (évoquant Coluche… avec qui nous avions pris langue en mai 1986 pour lui consacrer, après Guy Bedos en janvier, le dossier du numéro de septembre), et pour rappeler que la chanson, si aimable, si pure et nature puisse-t-elle être, si chargée d’énergie positive quand elle rassemble fraternellement, sait également jouer les courtisanes, en se parant d’artifices, pour mieux tromper son monde. Entre le coup de foudre, certes imprévisible mais pétillant comme une promesse de l’Aube, quand l’étincelle se produit, ou l’amour programmé (et tarifé) ; entre Paroles et Musique, c’est-à-dire, et ces Hit, Top, Podium et autres « magazines » variétesques à but exclusivement lucratif, un lectorat de dizaines de milliers de personnes avait fait son choix, ratifiant ma préférence… à moi.

Pour ce lectorat pas comme les autres, fidèle et confiant à ce point qu’il était inconcevable de l’abandonner, il restait à transformer l’essai en faisant chorus avec une revue encore plus ambitieuse. En l’espace de deux décennies, elle écrirait au fil de milliers de pages (en offrant la parole à des centaines d’auteurs, de compositeurs, d’interprètes, mais aussi d’éditeurs, de producteurs, de tourneurs… et de « passeurs » en tout genre) l’histoire multiséculaire de la chanson francophone. Des trouvères s’en allant de ville en ville colporter l’air du temps, jusqu’à l’apparition des « petits formats », l’industrialisation phonographique, l’avènement du 45-tours, du CD…

Une histoire qui semblait riche encore de lendemains qui chantent, avec l’émergence de la « nouvelle scène » au détour de l’an 2000, laquelle s’afficherait fièrement à la une d’un numéro spécial ; mais plombée depuis par la triste et prévisible « dématérialisation » du disque. Par la cessation de parution, aussi, de Chorus qui, au-delà de son rôle purement informatif, constituait le plus efficace des liens entre toutes les parties composantes de la chanson de l’espace francophone, de la scène à la ville, un organe prescripteur ainsi qu’un réservoir permanent de découvertes où puisaient les organisateurs de spectacles et les médias. « La bible » pour l’Agence France Presse, « le vaisseau amiral de la chanson française » pour dautres, parmi lesquels d’aimables confrères auxquels on ne faisait pas prendre des vessies pour des lanternes…

À peine le temps d’encaisser le coup (coulé !) et le voyage reprenait, laissant dans son sillage comme un fil tissé entre nous, un joli fil « entre nos cœurs passé, le fil de nos sentiments enlacés, qui nous lie, nous relie » : après la presse (et l’édition, avec des dizaines d’ouvrages publiés pendant la traversée), le blog. Embarquement facultatif sur simple invitation, toujours valable aujourd’hui, seulement « Si ça vous chante ».

Au fil des saisons, à l’image de cette arme chargée de futur qu’est la poésie, mon arbre à chansons a produit d’autres fruits en partage : Le Voyage au bout de la vie de Jacques Brel, trop méconnu jusqu’alors, qui a ouvert la voie à d’autres auteurs (y compris l’un de nos romanciers les plus célèbres) et à plusieurs reportages et documentaires ; un Goldman assez « confidentiel » pour permettre de découvrir l’homme de qualité, discret et terriblement attachant, derrière l’artiste le plus populaire de sa génération ; enfin, une Mémoire qui chante pour compléter notre chemin de mots et de notes comme on assemble un puzzle.

Et nous voilà en juin 2020, toujours avec Le Ciel dans la tête, la Terre dans le cœur, comme Luc Romann, l'humanisme fait homme, la tendresse incarnée ; toujours avec une même conception « bio » ou « écologique » de la chanson, malgré le temps qui passe… et ne se rattrape guère. Le secret ? Une évidence, plutôt : que serait la vie sans l’art qu’une longue et banale attente du lendemain ? L’art la magnifie au présent et crée en nous l’irrésistible besoin d’une quête perpétuelle du Beau… Quel autre refuge possible, sans se couper des autres, pour éloigner le néant ? C'est quand le bonheur ? C'est ici et maintenant. Et quel plus beau voyage que celui-là…

Le mien – un voyage au long cours, me rappelle Frédéric (et alors je me fous du monde entier !), quand, m’appuyant un instant au bastingage, je pense « aux copains aujourd’hui dispersés, sans oublier les amours de nos quinze ans » – remonte précisément à mes quinze ans. À la mi-juin 1965, si je devais en dater l’appareillage : quinze ans aussi avant la sortie des presses de Paroles et Musique… Ce jour-là, quelqu’un est entré chez moi – chez mes parents ! – pour me rencontrer… et ne plus jamais ressortir de ma vie. Frédéric Dard (dit San-Antonio… sauf que tout le monde ou presque ignorait alors qu’il s’agissait d’un seul et même auteur) !

Grand admirateur de Charles Trenet (et grand connaisseur de chanson française), il est resté fidèle jusqu’au bout, malgré les contraintes d’écriture d’une œuvre extraordinairement féconde (et plus prolifique que celle de Victor Hugo !), et fidèle je lui suis resté depuis, parsemant mes écrits de sa présence vivante. Pourquoi rester fidèle, s’interroge le poète, « quand tout change et s’en va sans regret / Quand on est seul debout sur la passerelle / Devant tel ou tel monde qui disparaît / Quand on regarde tous les bateaux qui sombrent » ? Parce que c’était Lui, parce que c’était moi ? On est comme on naît, n’est-ce pas ? Et on ne se refait pas.

J’avais quinze ans et, comme Leny Escudero délaissant la gloire pour se mettre en règle avec ses rêves d’enfance, comme le Grand Jacques refusant les compromissions des adultes (« L'enfance, c'est rien avec de l'imprudence, c'est tout ce qui n'est pas écrit… »), j’ai entrepris le voyage, sans céder aux sirènes de la raison qui nous demandaient d’être sages : « Faut être patients, on a tout le temps… on le fera ton beau voyage… » On pense qu’on a toujours le temps, qu’on a juste quinze ans, qu’on aura toujours vingt ans… Certes, « mais pas pour très longtemps / Un jour on en a trente et puis un jour quarante / Et puis on ne compte plus, c’est le temps qui nous compte / Et là, y a toujours plus qu’il n’en faut dans les contes… »

Quinze ans plus tard, je lançais « Un cri dans le silence », au nom d’une frange importante, occultée voire méprisée, du monde de la chanson. Quinze ans plus tôt, j’avais écrit et décrit mon choc à l’auteur de J’suis comme ça, comment et pourquoi j’avais été instantanément frappé d’admiration en découvrant, incrédule, son univers à nul autre comparable, et à quel point je me sentais révolté par l’indifférence médiatique dont il faisait l’objet ; sans parler du monde intellectuel et littéraire (Cocteau excepté), bouffi de condescendance et d’aveuglement à son encontre. Il en fut touché et voulut me rencontrer…

Voilà l’histoire. Du moins sa genèse. Le début du voyage. Si je l’évoque ici, c’est que tout est lié, tout se rejoint et se complète comme dans le refrain d’une jolie ritournelle, à laquelle trois petites notes de musique suffisent pour créer l’émotion et faire chanter la mémoire. C’est en effet grâce à San-Antonio qu’adolescent j’ai rencontré, croisé ou interviewé « mes » premiers artistes : Aznavour, du temps de la bohème, Bourvil, Philippe Clay, Raymond Devos, Gilles Dreu, Maurice Fanon, Georges Guétary, Félix Marten, Jean Richard, Henri Tachan… et j’en passe ! C’est « à cause » de lui aussi, pour le plaisir du partage, que je me suis lancé l’air de rien dans le journalisme, sans complexe aucun, en créant mon premier journal : Le Petit San-Antonien ! Au sommaire, tout ce qui se rattachait de près ou de loin à l’œuvre de Frédéric Dard : littérature, chanson, cinéma, théâtre…

Qu’il est loin mon pays, chantait Nougaro, qu’il est loin… Qu’il est loin ce temps-là pour qui lira ces lignes distraitement, mais si proche encore en moi… car je me souviens de tout, de ses moindres paroles le jour de notre première rencontre et surtout de son incroyable empathie à mon égard. Laquelle ne se démentirait jamais plus, bien au contraire, jusqu’à me désigner publiquement, noir sur blanc (après quelque 300 livres et plus de 200 millions d'exemplaires dévorés par ses lecteurs), comme « le plus féal de [ses] féaux », un an avant sa mort…

Si par malheur (ou ingratitude) j’avais tout oublié de cette histoire, que j’ai la faiblesse de croire assez unique (vous en connaissez d'autres, vous, de ces auteurs ou artistes majeurs capables de se déplacer spontanément, « pour l’amour, pas pour la gloire », chez un gamin inconnu, en faisant plus de cent kilomètres pour le voir ?*), une étrange coïncidence serait venue ces jours-ci me rafraîchir la mémoire… Cinquante-cinq ans, jour pour jour, après sa visite, j’ai reçu un mot d’une personne chère à son cœur sur une carte postale le représentant, souriant, à sa machine à écrire : un fac-similé du timbre que lui consacre la Poste ce mois-ci, oblitéré au verso du tampon « Premier jour ».

Premier jour !!! Moi, vous me connaissez, j’ai du mal à croire qu’un tel clin d’œil du destin ne soit que le fruit du hasard. Peut-être l’esprit malin de l’intéressé, comme des lambeaux d’avenir reliant certains d’entre nous, a-t-il guidé la main de l’affectueuse expéditrice… qui ne se doutait en aucune façon que c’était précisément ce jour-là, ce « premier jour », que tout avait (vraiment) débuté pour moi. Quinze ans avant de commencer à faire chorus avec Paroles et Musique

Tôt ou tard, bien sûr, le voyage prendra fin. On finira par arriver au port. Et comme dans la chanson où on le voit monter à l’horizon, on aura « du vent plein les cheveux, les pieds mouillés, de l’écume dans les yeux et la gorge qui se serre », puisque c’est là qu’on devra se séparer… mais quel voyage on aura fait ! Oh oui, quel beau voyage !

En attendant, qu’on se le dise, d’autres escales sont en vue...

En résumé, en conclusion ?

À suivre !

*À part Jacques Brel, se déplaçant incognito en Lorraine pour exaucer le souhait d'un adolescent hospitalisé, dans un état critique. C'était en avril 1965. Je raconte l'anecdote, témoignage (de première main) à l'appui, en pp. 27-28 du Voyage au bout de la vie. Brel, forcément, le Grand Jacques... Mais qui d'autre, hein ?!

PS. Pardon pour la photo bouffée aux mites, mais totalement inédite, retrouvée miraculeusement, en laquelle certain(e)s ami(e)s de San-Antonio verront avant tout un document. Les mêmes noteront d’autre part que la date de la mise en ligne de ce sujet, le 29 juin, n’a rien d’anodin : Frédéric Dard allait sur ses 44 ans quand il est venu faire ma connaissance, il en aurait 99 aujourd’hui même. « Bon anniversaire », Fredo !

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21 mai 2020 4 21 /05 /mai /2020 10:11

« N’en jetez plus !* »


Nous, quand on ressent de la peine, disait Frédéric Dard (en évoquant les écrivains, les poètes, les artistes en général), on ne peut s’empêcher de lui chercher un titre… Elle revient au triple galop, la gueuse, en ce « pont » de l’Ascension où nous avions l’habitude de retrouver nos amis les plus fidèles (Allain Leprest, Nilda Fernandez, Léo Ferré...) au festival de Montauban, « Alors… Chante ! ».

Jamais en peine, elle, la Camarde ne cesse de nous remettre à notre juste place, celle de « morts en sursis », comme disait Jacques Brel. Heureusement, il y a la mémoire qui chante qui, même lorsqu’elle est triste (un an déjà que le tendre, délicat et tellement talentueux Nilda a discrètement tiré sa révérence...), cherche à nous rappeler le meilleur de nos souvenirs... Lequel, pour moi (et tant d’autres sans doute) tourne souvent autour de San-Antonio... qui connaissait (vraiment) la chanson et adorait les artistes. Et réciproquement !

La preuve avec cette photo du grand comédien (et citoyen solidaire) Michel Piccoli (parti lui aussi dans la plus grande discrétion), se disputant avec Pierre Richard un de ses ouvrages inénarrables de fantaisie débridée comme de lucidité désespérée (en l’occurrence La Vie privée de Walter Klozett, 1975) ; la preuve aussi avec celle, ci-dessus, de Nilda Fernandez, invité en 1991 à Genève, en compagnie de Renaud, par Frédéric Dard qui l’estimait beaucoup et avait été particulièrement ému en découvrant Madrid, Madrid (voir Renifle, c’est de la vraie, paru en 1988, où il le clamait aux quatre vents – un passage dont je parlerai moi-même de l’origine, un jour, ailleurs, puisque je peux dire que « j’y étais », Frédéric m'ayant sollicité en amont à ce sujet, persuadé à juste titre que je devais bien connaître Nilda…).

Si j’avais su que je l’aimais autant, je laurais aimé davantage, disait encore Frédéric Dard, toujours lui. « On est aussi con aujourdhui / Quon sera mort dans dix mille ans », assurait pour sa part Leny Escudero qui vouait un culte à San-Antonio (et que nous étions allés saluer une dernière fois, Nilda et moi...). « Il ne faut pas aimer bien ou un peu / et à tout prendre / mieux vaut ne pas aimer du tout / Il faut aimer de tout son cœur / et sans attendre / dire "je taime" à ceux quon aime / avant quils ne soient loin de nous »... tant que nous sommes, nous-mêmes, « des morts encore vivants » (Brel…). Oh ! que oui, cher Jean-Roger Caussimon... Combien je voudrais pouvoir redire « je taime » à Frédéric, à Leny, à Nilda (avec « sa petite frime de fouine triste »,) à Léo, Allain, Claude, « Jo », Guy... et les autres. Des êtres qui sont « d’une autre race et ne le savent pas », chantait Ferré. Ils sont « d’un autre clan et se mêlent à vous, ils nous tendent leurs bras et nous donnent la main »...

Amis, soyez toujours (Vasca) !

*75e San-Antonio, 1971.

**Pour rappel sur (et avec) Nilda, si ça vous chante, sur ma page personnelle d’ « échanson de la chanson » :

« 37 ans de fraternité » (avec une émission, ensemble, sur France Inter).
• 7 avril 2018, Nilda chantait Garcia Lorca à Paris.
« Ah ! que ça me fait de la peine… »
« Nilda, Vasca : “La porte qui bat / Sur quel au-delà”… »
« L’Ascension de la chanson (Allain, Nilda et les autres) ».
« Nilda, San-Antonio et le temps qui reste ».

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